LA GASTRONOMIE PAYS CONTRE LE CORONAVIRUS #27 : le sommelier réunionnais Réza Nahaboo représentera la Suisse lors du concours du meilleur sommelier d’Europe à Chypre
Le confinement permet de faire des rencontres, virtuelles soient-elles. C’est ainsi, grâce à l’ami Jean Bernard, que j’ai pu faire tout récemment la connaissance de Réza Nahaboo, millésime 1987, chef sommelier en Suisse. Ce brillant Réunionnais, au parcours déjà bien étoffé, nous raconte son ascension professionnelle et n’oublie pas l’île qui l’a vu naître. Quand l’excellence réunionnaise s’exporte…
Tout d’abord, comment vivez-vous ce confinement ?
Le confinement se passe très bien. J’ai la chance d’avoir un balcon et de l’espace. Je pense à tous ceux qui vivent dans des appartements restreints, peu lumineux, à plusieurs, ce n’est pas la même chose… Aussi, ici en Suisse, le confinement est beaucoup moins strict que dans tous les autres pays voisins. Nous avons la liberté de sortir quand nous le souhaitons tant que l’on respecte les consignes de sécurité. Pour ma part, je vais en montagne m’aérer et être sûr de ne pas avoir de contacts…
Pouvez-vous en quelques lignes nous décrire votre parcours professionnel ?
J’ai commencé la restauration en apprentissage à l’âge de 15 ans dans la région Iséroise en France. J’ai obtenu un CAP Restaurant, puis un Brevet Professionnel Restaurant et une mention Sommellerie (5 ans d’alternance au total). Puis, à 19 ans, avec la mention en poche, je suis venu en Suisse à Montreux. J’ai travaillé pour une maison étoilée et une année plus tard, j’ai eu l’honneur de travailler pour Monsieur Rochat à Crissier, dans un établissement triplement étoilé où je fus assistant chef sommelier. Par la suite, j’ai multiplié mes expériences helvétiques comme à Genève au Four Seasons ou dans le Valais en travaillant pour des chefs étoilés. En termes de diversité, j’ai travaillé dans des établissements modestes, des maisons type brasserie, un wine bar, un shop de vins en lignes et la restauration étoilée en qualité, soit de chef sommelier soit de maître d’hôtel. En 2015, j’ai eu le privilège de faire l’ouverture du 5-étoiles Hôtel Royal Savoy de Lausanne. Ce fut une expérience incroyable où j’étais chef sommelier et assistant manager. J’ai eu l’honneur de créer une carte des vins de 420 références pour le restaurant de Monsieur et chef Marc Haeberlin… Puis en 2017, une autre ouverture et un nouveau poste : Sommelier Instructor pour le nouveau restaurant Le Bellevue situé dans la prestigieuse école Glion Institute of Higher Education où officient trois Meilleurs Ouvriers de France et Monsieur Paolo Basso, Meilleur Sommelier du Monde 2013.
Comment est venue chez vous la passion de la sommellerie ?
Lorsque j’ai commencé l’apprentissage, j’ai eu un feeling avec la partie boissons car j’avais la responsabilité de service des apéritifs et des vins, ça m’intéressait beaucoup. Puis, plus tard, j’ai rencontré un vrai sommelier de métier. Et je trouvais le personnage captivant, humble et étrange car il parlait de choses que je ne comprenais pas, mais les clients étaient fascinés. Puis un jour, il m’a donné un verre de crozes-hermitage à goûter, et ce fut le déclic…
Est-ce plus compliqué pour un Réunionnais, dont la culture est davantage tournée vers le rhum, de percer dans la sommellerie internationale ?
Je dois avouer que chercher une place d’apprentissage avec mon nom de famille ne fut pas très facile et j’ai eu une ou deux surprises liées à l’intégration. Personnellement, je ne pense pas que c’est une question de cultures ou de talents mais juste du travail. Si on a la fibre, la passion et que l’on travaille dur alors on y arrive ! Labor Omnia Probit Improbus ! (Un travail acharné vient à bout de tout).
Toutefois et sans fausse modestie, je ne me considère pas comme avoir « percé » dans la sommellerie internationale. Je reste à ma place, je suis un étudiant du vin, un apprenti. Et tant mieux si j’arrive à transmettre des choses positives liées à ma passion.
Quels sont vos titres en sommellerie et vos participations aux concours ?
Je fus : Meilleur élève sommelier de France Vins du Val de Loire en 2007 ; 3e Meilleur Sommelier de Suisse en 2009 et en 2012 ; 2e Meilleur Sommelier de Suisse en 2014 et Meilleur Sommelier de Suisse en 2016. J’ai récemment réussi l’examen Advanced du Master Sommelier et la sélection nationale pour représenter la Suisse aux prochains championnats d’Europe de sommellerie à Chypre.
Vous êtes toujours attaché à La Réunion ? Vous êtes originaire de quelle ville ?
Je suis né à Sainte Clotilde et je me sens toujours attaché à La Réunion. C’est une île incroyable avec une telle richesse et une telle diversité. Je suis très fier de mes racines, aussi, ma mère est de La Réunion, et mon père et mes frères sont de l’île Maurice.
Revenez-vous de temps à autre sur l’île ?
J’y suis retourné l’année dernière mais j’avoue que je n’y étais pas revenu depuis plus de dix ans… Non pas que je n’en avais pas envie !
La cuisine réunionnaise vous manque-t-elle ?
J’ai la chance que ma mère soit une grande cuisinière et que lorsque je la retrouve, elle me concocte des rougails, carrys, samoussas, sarcives pour les fêtes et même des bouchons. Alors à part le boucané et le ti jaque. Ça va… ce qui me manque c’est la saveur des fruits sur place lorsqu’ils sont à pleine maturité… un longani ou un letchi très mûr c’est quelque chose !
Quels sont les plus beaux accords qu’on pourrait réaliser avec les grands standards de la cuisine traditionnelle réunionnaise ?
Je dois être honnête mais c’est un sujet que j’aimerais travailler assez sérieusement pour aller plus en profondeur dans l’accord créole. Je n’ai pas vraiment eu l’opportunité de tester les accords avec différents styles de vins mais c’est dans ma tête.
Le problème, à mon sens, c’est le piment. Qu’il soit en pâte, en vinaigrette, frais, piments oiseau, ou cabri… tout ce que vous voulez. À mon avis, le piment (surtout avec les doses réunionnaises !) ne laisse pas la place au vin… par la capacité à brûler et piquer en persistance.
Mais en l’absence de piment sur les rougails/carrys, il y a des choses à faire. Les cuissons type carrys avec la tomate, ont énormément de succulence, de la persistance et les épices infusées sont souvent équilibrées, je pense que des cépages espagnols comme le mencia sur Bierzo ou Ribeira Sacra peuvent être sublimes sur des rougails thon. Avec le rougail saucisses, je garderais le même esprit mais avec des notes plus fumées et des terroirs volcaniques comme les vins de l’Etna à base de nerello mascalese avec un peu d’évolution sinon les tanins sont trop secs…
Pour le gratin chouchou, on pourrait imaginer un vin frais, variétal et avec de bons amers comme un grüner veltliner d’Autriche. Peut-être un style plus crémeux comme un Ried (cru) ou une Réserve apportera la structure pour gagner en volume.
Vous représenterez la Suisse aux prochains championnats d’Europe de la sommellerie. Comment avez-vous vécu cette nouvelle ? Comment vous préparez-vous pour cette compétition en ces temps confinés ? Vous fixez-vous un objectif pour ce concours ?
Quand j’ai appris cette nouvelle, je n’en revenais pas ! Car il y avait certaines épreuves notamment sur la dégustation, qui m’ont un peu décontenancé. Ensuite, le questionnaire était très dur pour moi. Alors je ne faisais pas le malin. Comment je me prépare ? Sincèrement, je n’ai pas encore commencé. Je sais que c’est honteux au vu du challenge mais avec mon travail on a dû réadapter toute notre méthodologie avec les contenus et les cours en ligne et du coup, je dois déjà être prêt sur cette partie pour me reconcentrer au plus vite sur le concours.
Pour la préparation, je vais étudier sur plusieurs points les pays viticoles du monde. Déguster des vins du monde régulièrement. Je suis entouré de mon collègue Fabien Mène qui est un des meilleurs sommeliers de Suisse, de Davide Dargenio, meilleur sommelier d’Italie, et de Bertrand Lutaud qui est un vrai coach pour moi et qui se prépare pour le Master Sommelier.
Mon objectif est bien sûr secrètement la finale comme tous les candidats mais c’est certainement utopique… Je suis déjà très heureux de pouvoir faire ce grand concours et si j’atteins les demi-finales alors ça serait déjà merveilleux…
Quels styles de vins aimez-vous ?
J’aime tous styles de vins, j’aime le pinot noir sous toutes ses coutures, le riesling, le chenin !
J’aime les cépages autochtones. Les vins fins où le terroir est le protagoniste.
Votre plus grande émotion en dégustation ?
La Tâche 1998 du Domaine de La Romanée-Conti… pluridimensionnel !
Le vin que vous rêveriez de goûter ?
Il y en a plein, des vins historiques, des vieux millésimes de Rayas, des rieslings de Moselle allemande d’avant-guerre pour voir l’évolution, des vieux monfortinos sur Barolo….
Un message à passer aux Réunionnais durant ce confinement ?
J’espère que les jeunes cuisinent avec leurs parents ! Pour que la culture ne s’efface pas mais se transmette… Et vive La Réunion ! Vive le rhum arrangé !